Dans le cadre du festival de Reims Scènes d’Europe, le chorégraphe Clément Layes nous invite, dans sa pièce L’Eternel retour, à jeter un œil par la fenêtre d’une étrange maison où s’entrecroisent les personnages décalés et poétiques d’un ballet du quotidien.
« Ding. »
Une femme entre. Elle s’assoit, se relève promptement, sifflote quelques notes de « Summer Time ». J’ai déjà un sourire aux lèvres. Elle a ce comportement attachant des personnes un peu anxieuses ou perfectionnistes qui reçoivent du monde chez eux. Dans ses mouvements saccadés, dans ses éclats de rires un peu trop vifs, je revois ma mère qui prépare la maison pour une grande réception. Elle tapote un cousin, lisse les plis du couvre-lit. La scène est prête, le spectateur peut y entrer.
« Viens voir ! »
L’invitation est explicite. Une double injonction qui semble s’adresser autant aux danseurs qui attendent patiemment de faire leur entrée, assis sur des bancs des deux côtés de la scène, qu’aux spectateurs qui se font peu à peu entraîner par l’entêtante chorégraphie. Je me laisse prendre au jeu, attentive aux moindres pas des danseurs d’intérieurs, je ne quitte pas pour autant des yeux les danseurs d’extérieur. Assis, immobiles sur leurs bancs, ils assistent, spectateurs de leur propre spectacle, au ballet qui se danse entre les quatre murs en carton. A tout moment l’un d’eux se lève, enfile son costume, attrape un accessoire et entre en scène.
«Youhou»
Chaque danseur nous raconte une histoire qui lui est propre. Burlesques et touchants, les personnages semblent évoluer à contre-temps. Ils se frôlent, se faufilent, s’échappent, sans presque jamais se toucher. Évocation poétique des occasions manquées ? Les personnages semblent coincés dans une histoire qui se répète sans fin. Les pas qui nous ont surpris au début, les gestes qui nous ont faire rire ou nous ont émus tombent dans la monotonie. Les bruits les plus joyeux deviennent rengaine. Eternel retour.
« What ? »
Que faut-il donc voir dans cette ronde entêtante ? Une métaphore du quotidien, douce et mélancolique. Une histoire d’amour qui s’étiole, tombe dans une tendresse monotone. Une relation qui se délite, usée par la ronde des jours. Peut-être la vie n’est-elle qu’ « une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau, et qui laisse derrière des millier de ronds dans l’eau » comme le chantonne sur scène une diva des temps passés.
« Ca ? »
Les trajectoires s’emmêlent, je ne sais plus où donner de la tête. Pas moins de 20 danseurs se meuvent, se cachent, s’étirent et sautent dans cette maison de marionnettes. La performance technique est impressionnante, la danse doit être réglée comme du papier à musique. Une partition gestuelle complexe qui oblige le spectateur à se concentrer pour démêler le fil des histoires. Des objets apparaissent sur scène : horloge, échelle, ukulélé. Infatigable perroquet, l’un des danseurs s’exclame à chaque fois :
« Ca ? »
Les personnages cherchent quelque chose, comme nous dans notre quotidien. Est-ce cet objet qui donnera du sens à notre mouvement incessant ? Ou bien plutôt celui-là ? Par petites touchent successives se peint le tableau surréaliste de notre société. Dans la valse infinie d’objets futiles qui finissent par s’accumuler sur les côtés, je vois une métaphore de nos pulsions consommatrices. Nous accumulons une collection d’objets bigarrés qui ne sont jamais les bons et finissent par encombrer la scène.
« J’y vais. »
C’est le début de la fin du spectacle. Les danseurs sortent un à un de la piste. C’est une scène de vie miniature qui s’anime, se fige puis se déconstruit sous nos yeux. Les objets n’ont plus d’importance, ils n’ont pas su apporter le sens que nous cherchions, pas plus que les meubles ou les murs ne nous aident à structurer notre vie. L’histoire se déleste de son décors, la maisonnette se décloisonne. La mise en scène devient minimaliste : la danse cède la place à l’imaginaire du spectateur. Le chorégraphe réussit le tour de force de maintenir l’impression vivace dans notre esprit. Il continue de nous raconter ses histoires à l’aide de simples évocations sonores.
L’Eternel retour est un concentré d’humanité qui fuite à travers les quatre murs de sa maisonnette. Il dématérialise totalement l’espace scénique pour l’implanter profondément dans nos têtes. Les lumières se rallument mais les danseurs des jours continuent de valser devant mes yeux dans une farandole endiablée qui ne semble pas vouloir s’arrêter.
« Ding. »
Lise Ramambason
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