La Tristura fait son cinéma – Par Agathe Bonnefoy

Dans le cadre du festival Reims Scènes d’Europe 2018, la compagnie espagnole La Tristura présente pour la première fois en France sa dernière création Ciné. Conviés à cet événement, les YPALs nous donnent leurs avis sur la pièce éclairante et émouvante.

Cine – La Tristura

Au bocal de la Comédie, on rejoint les membres YPAL après la représentation. Décontractés, ils sont installés sur des sofas ou à même le sol. Ils grignotent, mangent et échangent entre eux avant de rejoindre l’after pour une soirée mouvementée. Ils nous confient leurs opinions sur la pièce.

Léna est membre des YPALs depuis l’année dernière. Elle a fait un master en Politiques et Gestion de la Culture en Europe à l’Université Paris VIII. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle a pensé de Ciné, elle répond que c’était « poétique » notamment grâce aux lumières, qui conféraient à la pièce une dimension « irréelle alors que c’était réel ». Quant au thème abordé – les bébés volés en Espagne sous la période franquiste – elle trouve le sujet « bien amené ». Néanmoins, elle note qu’elle était « presque déçue de l’apprendre dans le programme de salle », puisque comme beaucoup, elle n’était pas au courant de cette affaire. L’une des caractéristiques de cette pièce était l’utilisation du casque audio dont chaque spectateur se munit pour entendre les sons et les voix des artistes en scène. Léna se dit « mitigée car cela permet l’immersion mais ce n’était pas indispensable ».

Le lendemain, les YPALs rencontrent le créateur de la pièce Ciné, Celso Giménez, accompagné de son assistante Violeta Gil. Les échanges, discrets au début, se font en anglais et en espagnol. Au fur et à mesure de la séance, les langues se délient et les questions fusent. Les sujets de conversations sont divers : Comment travailler avec des enfants sur scène ? Qu’est-ce que l’Europe ? Les avis des YPALs quant à la pièce divergent « It was simple and beautiful » ou « I enjoy it but more like a movie », chacun livre son opinion.

[INTERVIEW]

A. Bonnefoy : L’Espagne d’aujourd’hui vous semble-t-elle marquée par l’épisode des bébés volés?
C. Giménez : On en parle pas dans les sphères politiques et publiques, mais en petits comités, les gens se transmettent des histoires dont ils ont entendu parler.

A. B On estime que 300 000 bébés ont pu être volés en Espagne jusqu’aux années 1980. Pourquoi avoir choisi d’aborder le thème d’une façon intime à travers le personnage de Pablo ?
C. Giménez : Pablo est un personnage entre fiction et documentaire. C’est un personnage de théâtre. On ne peut pas généraliser parce-que c’est une histoire en train de se dévoiler. En ce qui concerne la mémoire historique, il y a une déconnexion entre l’ancienne et la jeune génération. Pour nous, le choix d’un personnage jeune et masculin s’est imposé. Il s’agit d’une question d’esthétique et de réflexivité. On voulait faire de Pablo un classique de la littérature, un héros type du roman d’initiation.
A. B : Quel impact souhaiteriez-vous que cette pièce ait sur les spectateurs ?
V. Gil : Je n’avais pas le désir concret d’imposer ou de dicter une réaction particulière. C’est difficile de savoir ce que les gens penseront de notre travail. Cela sera sûrement très différent en fonction du lieu, de ta famille, de tes amis… Le plus important était que cela génère une discussion.
A. B : Si on en revient aux YPALs, qu’avez-vous pensé de la rencontre avec eux ?
V. Gil : Je suis fascinée qu’ils existent [rires]. Je ne sais pas beaucoup comment ils fonctionnent, mais je pense que c’est important qu’ils soient là.
VI.

[CRITIQUE]

Cruellement éclairante, Ciné se place dans un entre-deux, celui du cinéma et du théâtre. Cette pièce nous donne une vision fragmentée de la vie d’un homme victime de l’affaire des « bébés volés » du franquisme. L’œuvre met en lumière et dénonce cet épisode espagnol historique encore mal connu.

Originalité de la mise en scène, l’utilisation du casque audio et d’une cloison transparente devant la scène est une des caractéristiques de la pièce lui conférant un côté hybride. La simplicité du décor et la beauté des lumières mettent en valeur le scénario et lui donnent des allures poétiques ou tragiques selon les situations. Tous les décors sont disposés en amont et défilent avec fluidité. De ce fait, la pièce se rapproche plus du septième art que d’une forme théâtrale conventionnelle. Les images que l’on retient sont d’une courante banalité, comme celle des fauteuils oranges dans un café surplombés d’une lampe dont la lumière jaunit la scène et les acteurs. Ce sont ces images et les éclairages chaleureux qui contribuent à accentuer le jeu intimiste des acteurs. Comme la mise en scène, le scénario de la pièce revêt aussi d’un caractère ambivalent, puisque l’univers de l’intime, du sentiment personnel et de la recherche de soi sont évoqués à travers le personnage de Pablo. Néanmoins, par son côté dénonciateur, Ciné tend vers la généralisation du personnage tourmenté de Pablo en profil type du « bébé volé » du franquisme à la recherche de son identité quelques années plus tard.
Celso Giménez et Itsaso Arana présentent une pièce qui met en lumière de façon clairvoyante un fait historique qui ne se révèle qu’aujourd’hui dans l’Espagne contemporaine. Le personnage emblématique de Pablo retrace la tourmente d’un homme à la recherche de sa propre identité et de la vérité. Par sa trompeuse simplicité et sa belle authenticité, Ciné est une œuvre profondément touchante.

Agathe Bonnefoy

Vous êtes curieux d’en savoir plus ? 

> https://bit.ly/2pBQMhh

> http://latristura.c

https://www.facebook.com/szenik.eu/videos/1711494145581749/
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